Les pédiatres Sylvie Dieu Osika et Éric Osika ont marqué le début de l’année 2025 avec la publication de L’Enfant-Écran : comment échapper à la pandémie numérique, un ouvrage percutant qui synthétise quinze années d’observations cliniques sur les ravages de la surexposition numérique dès la petite enfance. Leur travail, basé sur leur pratique hospitalière à l’hôpital Jean-Verdier de Bondy, met en lumière une crise développementale sans précédent : retards massifs de langage, troubles du comportement et mécanismes d’attachement perturbés par les écrans. Leur approche, mêlant rigueur scientifique et engagement militant, compare cet enjeu à un « nouveau scandale du tabac », appelant à une réaction sociétale urgente.

Les conséquences cliniques de la surexposition aux écrans

Des cas préoccupants observés en consultation

Depuis 2019, leur consultation dédiée aux « enfants-écrans » documente des cas alarmants :

  • Nourrissons de 18 mois présentant des stéréotypies autistiques.
  • Enfants de 3 ans incapables de dire « papa » ou « maman », mais capables de réciter l’alphabet grâce à des vidéos YouTube.
  • Troubles alimentaires liés à l’usage d’écrans pendant les repas.

Ces enfants développent un « langage plaqué », c’est-à-dire une restitution de sons appris sans réelle interaction. Dans de nombreuses familles, les écrans remplacent les échanges verbaux, créant un environnement de stimulation auditive intense mais sans interactions sociales.

Impact sur le développement de l’enfant

Les Osika identifient quatre domaines majeurs du développement impactés par la surexposition aux écrans :

  1. Langage : Privés d’interactions naturelles, les enfants développent un langage décousu.
  2. Régulation émotionnelle : L’écran devient un calmant artificiel, retardant l’apprentissage de l’auto-apaisement.
  3. Attachement : La technoférence (interruption parent-enfant due aux écrans) nuit à la construction de l’empathie et des liens affectifs.
  4. Fonctions exécutives : L’hyperstimulation entrave la concentration et l’attention, entraînant des difficultés scolaires futures.

Cette situation représente une rupture anthropologique : les premières générations dont le développement cérébral se façonne plus par les écrans que par les interactions humaines.

Une crise sanitaire et sociétale majeure

Un parallèle avec l’industrie du tabac

Sylvie Dieu Osika compare l’économie numérique à l’industrie du tabac des années 1950 :

  • Publicité ciblée vers les enfants.
  • Exploitation des vulnérabilités des plus jeunes via les algorithmes.
  • Dénis des risques sanitaires et lobbying actif pour éviter toute réglementation stricte.

Les contenus éducatifs numériques pour tout-petits sont, selon eux, un « cheval de Troie » facilitant une exposition précoce massive.

Le concept d’« enfant-écran »

L’ouvrage introduit la notion d’« enfant-écran », où les processus cognitifs et sociaux sont remodelés par le numérique. Cette altération profonde se traduit par :

  • Désincarnation des interactions : Les enfants anticipent les réactions des interfaces plutôt que celles des humains.
  • Appauvrissement sensorimoteur : Moins de découvertes physiques, ralentissant le développement cognitif.
  • Inversion des rôles : L’enfant devient passif face aux sollicitations numériques au lieu d’explorer par lui-même.

Solutions et protocoles de prévention

Un protocole de sevrage en trois phases

Forts de leur expertise clinique, les Osika proposent une approche en trois étapes :

  1. Prise de conscience (4-6 semaines)
    • Suivi du temps d’écran avec un carnet de bord.
    • Identification des moments-clés d’utilisation des écrans (repas, coucher, transitions).
    • Déconstruction des croyances sur les écrans « éducatifs ».
  2. Réorganisation des habitudes (2-3 mois)
    • Introduction progressive d’activités alternatives (lecture, jeux physiques, interactions sociales).
    • Rétablissement du contact visuel et des échanges verbaux.
    • Création d’espaces sans écrans (ex. : chambre, salle à manger).
  3. Stabilisation et prévention des rechutes (6 mois et plus)
    • Ateliers parents-enfants pour favoriser la lecture interactive.
    • Intégration dans des activités de groupe (crèches, ludothèques).
    • Accompagnement psychologique en cas de sevrage difficile.

Un « livret d’activités sans écran » est également distribué aux parents, offrant 50 idées adaptées à chaque tranche d’âge.

Vers une réglementation renforcée

Les Osika militent pour :

  • Interdire les écrans avant 3 ans, comme au Canada.
  • Former les professionnels de l’enfance pour repérer les signes de surexposition.
  • Limiter le marketing numérique visant les moins de 12 ans.
  • Créer un observatoire national sur les usages numériques chez l’enfant.

Selon leurs recherches, près de 15 % des enfants en maternelle présentent des retards de langage sévères liés à une exposition excessive aux écrans.

Protéger les enfants de la surexposition aux écrans

L’ouvrage des Osika dépasse le cadre médical pour questionner notre rapport collectif aux technologies. Leur message clé ?

La « qualité de présence » des parents est essentielle au bon développement de l’enfant. Encourager les interactions réelles et des activités sans écran est fondamental pour rétablir une hygiène numérique familiale.

Alors que la première génération d’enfants-écrans entre à l’école primaire avec des déficits attentionnels majeurs, il est urgent de traduire ces constats en actions concrètes.

Leur œuvre, à mi-chemin entre traité scientifique et manifeste sociétal, pose finalement cette question cruciale : quelle humanité voulons-nous léguer à des enfants dont le cerveau se forme désormais en symbiose avec des algorithmes ? Qu’en pensez vous ?


En complément de cette analyse sur l’impact des écrans, découvrez comment l’écriture manuscrite, loin d’être démodée, continue d’apporter des bienfaits intemporels à notre quotidien à l’ère numérique en consultant cet article